XVIIe-XVIIIe siècles
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On a longtemps pensé le XVIIIe siècle à travers l’affrontement exclusif de deux mouvements: les Philosophes exaltant la raison critique et leurs adversaires représentants des anti-Lumières. Cet ouvrage vise à étudier les marges de ce noyau dur, objet privilégié de la tradition historiographique. Le mot marges est pris dans toutes les acceptions du terme: limites, seuils, zones grises, incertaines et problématiques. Il désigne les courants de pensée les plus divers qui se situent à la frontière des mouvements philosophiques, sans basculer pour autant dans l’antiphilosophie ou les anti-Lumières.
Il montre d’abord comment les Lumières elles-mêmes pensent les limites extrêmes de la validité de leur démarche, puis examine des courants intellectuels, à l’origine divergents ou opposés, qui se rencontrent ou coexistent, dans un état de tension et d’instabilité. Dans les trente années précédant la Révolution, on a souvent recours au vocabulaire philosophique, alors qu’on adopte des positions vaguement ou ouvertement antiphilosophiques. Fruit d’un colloque international tenu à l’Université de Tours en 2001, cet ouvrage nous rappelle que l’histoire culturelle de la deuxième moitié du XVIIIe siècle est faite de contradictions et de chevauchements, parfois paradoxaux.
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Le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Montesquieu invite aux bilans : la multiplication, depuis une quinzaine d'années, des études a favorisé la philologie, avec l'admirable édition des Œuvres complètes en cours à Oxford, plutôt que la synthèse. La tension d'un style bâti à coups de contrastes, de paradoxes et d'exagérations, le goût du critique d'art pénétrant pour le style rocaille qui baigne sa jeunesse comme pour la démesure de Michel-Ange et de Corneille incitent à brosser un portrait de Montesquieu autour de la notion de baroque. Cosmologie baroque où luttent le centrifuge et le centripète, éthique baroque de l'énergie guettée par son anéantissement, conception baroque de l'Histoire où la victoire vaut défaite, économie baroque où la richesse en numéraire est synonyme de ruine, foi post-tridentine comblée par le tournoiement du concave et du convexe, tout l'univers de Montesquieu obéit à la loi de l'ambivalence et préfère au principe d'identité celui d'homothétie dont il repère l'emboîtement dans la société, de l'individu à l'Etat.
Etonnant Montesquieu : on le dit depuis plus de deux siècles l'inventeur de la séparation des pouvoirs, et il répond distribution ; on le croit raisonneur, il est passionné ; on le prétend du juste milieu, il a le goût des extrêmes ; on le suppose classique, il est baroque ; c'est le Romain, et un moderne convaincu ; on le trouve démonstratif et discursif, c'est l'homme des saillies, des ellipses, des éclairs de génie. Ce Gascon que la caractérologie classe parmi les sanguins est bien frémissant, bien catégorique pour être un modéré. Un Montesquieu bouillant et caustique, voire grinçant, contre un Montesquieu un peu empesé et timoré, perd-on au change ?
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A l’époque moderne, l’éclatement de la chrétienté en confessions rivales, en un “catholicisme” et des “protestantismes”, a suscité le développement de la controverse et l’élaboration d’une immense littérature religieuse. L’écrit, et particulièrement l’imprimé, devenait l’instrument du débat théologique et philosophique. Ce faisant, l’interprétation des écrits – la Bible, les Pères, les auteurs spirituels –, l’établissement du sens des textes et l’émergence de l’ " auteur " au sens moderne du terme entraînaient à leur tour un problème philosophique autant que théologique et donnaient naissance à des disciplines autonomes, l’exégèse et l’herméneutique. Les travaux rassemblés dans ce livre constituent un essai d’interprétation de plusieurs corpus textuels, d’œuvres de philosophes, de théologiens et d’auteurs spirituels. Ils fournissent une réflexion sur la constitution ou la modification des références fondatrices (le rapport à une origine, les structures psychiques ou anthropologiques). Que les questions de la spiritualité, de la dévotion et de l’institution soient centrales dans ces recherches n’étonnera pas : l’homme moderne y est engagé, s’affirmant comme sujet de son expérience.
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Proposer un essai de génétique théâtrale appliqué à Corneille, et non une «poétique de Corneille» ou une «esthétique de la tragédie cornélienne », c’est tenter de mettre au jour la démarche créatrice du dramaturge, dans son mouvement particulier (comment s’élabore une tragédie), comme dans son mouvement général (comment se construit une poétique tragique).Produire un essai de génétique théâtrale signifie aussi qu’en l’absence de brouillons, il a fallu forger une méthode d’analyse originale pour dégager les strates constitutives d’une tragédie et retrouver les questions qu’a pu se poser le poète dans son travail créateur: méthode qui ne cache pas son statut d’hypothèse de travail, même si elle s’appuie sur les écrits théoriques de Corneille et de ses contemporains. Considérer Corneille à l’œuvre apprend enfin que sa tragédie est une constante mise à l’epreuve du genre même de la tragédie, et non point du rapport de l’homme au monde; bref qu'il s’agit d’un art de la mise en forme d’une matière poétique, qui va de la forme au sens, et non l’inverse – ce que Corneille explique lui-même, mais que la critique, fascinée par la dimension politique de son théâtre, a toujours refusé d’admettre. Par là ce livre, quoique présentant nombre de pièces, y compris les plus célèbres, sous un jour différent, ne prétend pas apporter une interprétation supplémentaire de la tragédie cornelienne. Chercher à comprendre le travail céateur d’un écrivain exige de se limiter à la description des conditions mêmes d’une interprétation — à partir de quoi pourront se construire derechef les «lectures» que reclame une œuvre dramatique aussi exceptionnelle que celle-ci.
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En 1698 environ, Claude III Nivelon, disciple de Charles le Brun et "dessinateur" ordinaire du roi, s'apprêtait à faire publier la biographie de son maître, décédé depuis 1690, dont la réputation et la renommée semblaient alors sensiblement ternies. Pour des raisons inconnues, ce texte - indubitablement la source la plus importante sur l'art du premier peintre de Louis XIV - ne fut jamais publié. Le manuscrit original, disparu, fut transcrit au début du XIXe siècle dans des circonstances difficiles à éclaircir. Cette transcription , conservée à la Bibliothèque nationale de France, n'a jamais été éditée. L'édition critique de La vie de Charles Le Brun, élaborée par Lorenzo Pericolo, permet donc pour le première fois de consulter ce texte essentiel pour l'histoire de la production artistique en France au Grand Siècle.
Lorenzo Pericolo est maître de conférences à l'université de Haute Bretagne, Rennes 2. Il a aussi publié "Philippe, homme sage et vertueux". Essai sur l'art et l'oeuvre de Philippe de Champaigne: 1602-1674 (Tournai, 2002).
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Philippe Quinault (1635-1688) fait représenter en novembre 1668 son avant-dernière tragédie, Pausanias, écrite à la hâte en sorte de combler une lacune dans le répertoire de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne. Inspiré par l’Andromaque de Racine, créée un an auparavant, Pausanias n’en est néanmoins pas une répartie sommaire. Désavouant la tradition selon laquelle le théâtre serait une littérature d’élite, Quinault ambitionne de châtier quelques-unes des fautes qui auraient entach© l’ouvrage de son jeune rival. Ce faisant, il nous livre Démarate, héroïne furieuse et violente qui ourdit un dénouement inoubliable, et Cléonice, dernier rôle endossé par la célèbre Mademoiselle Du Parc qui avait aussi créé celui d’Androaque pour Racine.
Le texte, établi et annoté par Edmund J. Campion, paraît pour la première fois depuis plus de deux siècles. Il est rehaussé d’une étude, par William Brooks, de la genèse, de la construction et du destin de cette tragédie dont la réputation a été arbitrairement flétrie.
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Sommaire: Note from the Editor. Articles: M. Black, “Murder Most Foul – Iphigeneia, Lucretius and Diderot”; Ph. Knee, “Diderot et Montaigne: Morale et scepticisme dans Le Neveu de Rameau”; P. Pellerin, “Diderot, Voltaire et le curé Meslier: un sujet tabou”; J.-Ch. Rebejkow, “Diderot, les Salons de 1767 et de 1769 et la question du luxe”; W. E. Rex, “Music and the Unity of Le Neveu de Rameau”; G. Sheridan, “An Other Text: Rationalist Iconography and the Representation of Women’s Work in the Encyclopédie”; M. Spangler, “Les Monstres textuels dans le transformisme de Diderot”; E. Zawisza, “Une Lecture littéraire des lettres de Diderot à Marie-Madeleine Jodin”. Reviews.
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L’étude d’Emmanuelle Hénin entend démontrer l’antériorité et la primauté d’une notion d’ut pictura theatrum sur celle, célébrée, de l’ut pictura poesis, bien que celle-là ait été arbitrairement considérée comme un phénomène secondaire. Il s’agit de montrer la cohérence et la continuité de cette conception de l’imitatio dramatique durant deux siècles, depuis la Renaissance italienne jusqu’à la «doctrine classique française », suivant une méthode à la fois théorique et historique, en consultant l’histoire de l’art, l’histoire du théâtre et l’esthétique. L’analogie entre les deux modes de représentation, quand bien même ils diffèrent par des moyens d’expression propres, se fonde sur une série de topoi sans cesse commentés, tant dans l’exégèse d’Aristote que dans les traités de théâtre et de peinture. Non un atticisme, pas plus qu’un ornement, ces lieux com
muns se trouvent convoqués dans tous les débats esthétiques sur l’idéalisme, la distinction des genres, la règle des trois unités, la rhétorique des passions, le jeu de l’acteur, etc., que cette nouvelle histoire de l’ut pictura theatrum éclaire d’une lumière inédite.